C’est un livre stratifié de carton aux pages solides, comme un premier livre de l’enfance, une leçon de choses. Un personnage est le fil de liage d’un écheveau de saynètes dont il est l’acteur. Un homme longiligne au costume trois pièces collant au corps, cheveux gominés, teint de cire, tenant plus de la figurine que de l’homme de chair et de sang. Posé comme un bibelot dans une vitrine en divers arrangements, héros d’un diorama, habitant d’un monde qui est le nôtre, et pourtant. Chaque image pourrait être celle, fixée sur la page, d’un film à tourner. Homme du large, il émerge trempé de tout l’Océan, comme un blouson de sport, il pend tout entier sur un cintre à la devanture d’une
échoppe touristique à Ostende, Hambourg, Bruxelles ou Venise. Comme une mouette, un goéland, il est interdit de le nourrir aux abords des marchands de graillon, il peut se montrer agressif dans certaines situations. Cet homme du commun est aussi un magicien, il peut d’un regard mettre le feu à un ballon, immobiliser une pierre lancée dans le ciel, se prendre pour Moïse et faire se lever les eaux d’un étang et toute sa population. Mais son corps allongé peut plus prosaïquement servir de banc à des gens singuliers. Pour pêcher ce bizarre maquereau, on peut l’attraper dans les filets d’une cage de football, le débiter en morceaux avec la porte électrique d’un garage ou le jeter tout entier
dans une poubelle sur la plage, ce n’est pas un être rancunier. Cette figurine, cet ersatz, cet homme multiple descendu de la Lune a pour nom Messieurs Delmotte, un livre d’images en conte les aventures presque banales et pourtant si étranges. L’Océan, c’est rassurant dans un monde de plus en plus ordinaire, est encore habité de poissons extravagants sous les vagues.
François Liénard, juin 2025.