Né en 1982, originaire de Haute Savoie et se retrouvant en Belgique il y a des années aux Beaux arts de Tournai, Cyprien Mathieu aka Valfret, après avoir réalisé son rêve d’enfance, être auteur de bande dessinée, grâce à un premier livre aux Requins Marteaux, a décidé de s’affranchir en peintures, en dessins et en textes au sein de publications collectives telles que Hôpital Brut, la Tranchée Racine ou Super Structure et désormais en solo chez Images et Frémok à Bruxelles.
Annabelle Dupret n’est pas pour rien dans la mise en valeur de ce récit éclaté, échevelé et jouissif qui permet à son auteur, par saut et gambade, de recomposer en fragments cette expérience unique qu’est la vie — des origines scolaires jusqu’à une vision dystopique peuplée de milices aux bras armés.
Textes et dessins ne se singent pas les uns les autres. Face aux Kandinskieurs et à ceux pour qui la ligne et le noir et blanc délimitent des champs, le créateur invente des espaces qui atteignent une puissance de dégénérescence nécessaire. Il crée des distorsions capitales capables de faire piquer du nez à une idée sentencieuse de l’art. Les codes admis du langage comme de la peinture sont tournés en ridicule et leur cérébralité aussi. Les forment giclent pour prendre jusqu’à notre inconscient au dépourvu.
Un tel travail permet de nous empaler à la pointe de nos désirs. Avec Valfret, l’artiste héros fait place à l’histrion mais qui toutefois ne badine pas pour rien. Il rappelle à bon escient que la vie n’est pas qu’un leurre mais que la mort peut devenir du Shakespeare. Nous entrons dans le non stratifié, à la jonction de divers mouvements iconoclastes.
A l’énonçable se mêle un visible et vice versa. L’art devient par excellence le lieu de la mutation en partie farcesque. Les questions qu’il pose sont les questions de la composante humaine bien peu ouverte vers l’avenir tant il devient bouché.
Résumons : Valfret propose des figures de sable sous forme de roc, et des rocs sous forme de stuc. L’ironie et la dérision mettent à mal le snobisme des formes qui ovulent en vignettes spécieuses. L’artiste opte pour une forme de sérieux qui tue notre ridicule et libère ce qui encombre le raison et met en lumière le royaume de nos ombres. Le tout par la couleur et une graphie hors de ses gonds. Si bien que le multiple n’est plus seulement Un mais Un et demi.
Jean-Paul Gavard-Perret, Le Littéraire, novembre 2023